(Re)naissance

Un travail de médiation inspiré du recueil de poèmes L’ÉPINGLE filante de l’artiste Noémie Roy

Steve Kawe

Ce projet s’inscrit dans la dynamique du programme En vitrine 2 du Labo, un espace conçu pour mettre en lumière des pratiques artistiques contemporaines et expérimentales francophones à Toronto. En tant que médiateur numérique du projet, j’étais porté par une volonté de médiation immersive et transversale afin d’offrir une connexion profonde entre l’œuvre de l’artiste Noémie Roy et le public. M’inscrire dans l’approche adoptée par l’artiste fusionnant littérature, arts visuels, j’ai tenté à travers ma médiation d’inscrire subtilement la composante interaction numérique pour ‘augmenter’ l’expérience sensorielle unique et participative de l’œuvre de l’artiste.

Au cœur de cette initiative se trouve une relecture innovante du recueil L’ÉPINGLE filante de l'artiste Noémie Roy, qui prend vie au travers d’une installation interactive au rez de chaussée de l’Université de l’Ontario français. Son dispositif m’a invité à plonger dans un univers où les mots, la matière textile et les thématiques du soin et de la transmission s'entrelacent pour offrir une interprétation sensible et engageante. Cette nouvelle forme artistique privilégie une interaction directe et tangible avec l’œuvre, favorisant une exploration singulière et une résonance personnelle entre le médiateur, le visiteur et le contenu créé.

Mon dispositif de médiation est une approche transversale mêlant analyse lexicale, visualisation poétique et interactivité numérique, il invite le public à explorer l’œuvre sous un prisme sensoriel et participatif. Concrètement, l’installation repose sur une cartographie des mots-clés, traduite en une visualisation dynamique, où texte et image s’entrelacent pour créer un espace de lecture fluide et intuitif. Cette médiation numérique vise à redéfinir le rapport entre public, l’artiste et la création artistique. En rendant tangible l’immatériel de la poésie et en intégrant une forte dimension participative, le dispositif tente de dépasser les cadres traditionnels de l’exposition vers le sensible. Le dispositif de médiation transforme le statut de chaque visiteur non pas comme un acteur passif et observateur de cette scène, mais devient un acteur actif, invité à s’approprier l’œuvre à travers ses propres perceptions et sentiments.

Noémie Roy avec le recueil L'ÉPINGLE FILANTE

Dimensions et étapes du projet

Analyse lexicale et cartographie des mots-clés

À travers une exploration approfondie des textes du recueil, une analyse lexicale met en lumière sa structure linguistique, ses thématiques récurrentes et ses associations clés. Un réseau de collocation dévoile les liens entre les différents mots et concepts. Ces données deviennent le socle de cette réinterprétation visuelle et immersive.

Visualisation poétique, à la croisée des arts

Les poèmes prennent une nouvelle dimension par le biais d’une visualisation interactive, où langage et images en mouvement s’entremêlent. Cette approche innovante cherche à traduire la poésie en une expérience visuelle et sensorielle, permettant au spectateur de parcourir l’œuvre à travers un prisme inédit qui transcende la simple lecture textuelle.

Dialogue avec l’artiste et transparence créative

Une rencontre entre nos deux processus créatifs offre une plongée dans un dialogue riche et inspirant : un échange où se croisent nos inspirations, nos choix artistiques et nos intentions respectives. Cette démarche met en lumière l’importance d’une collaboration authentique, où chaque perspective enrichit l’autre, et où la création devient un espace de partage et de résonance. Ensemble, nous cherchons à établir une communication sincère avec le public, en tissant des liens entre nos visions et en invitant chacun.e à s’immerger dans une expérience artistique commune.

Analyse lexicale et cartographie des mots-clés

La poésie de L’ÉPINGLE filante déploie un univers riche en images et en résonances, tissé d’évocations subtiles autour de la maternité, de la transmission, de la transformation et de la résilience. En examinant la fréquence et la cooccurrence des mots dans ce recueil, un réseau de collocation s’est dessiné, révélant des axes de lecture et d’interprétation majeurs. Cette analyse vise à explorer les structures linguistiques sous-jacentes qui soutiennent la trame poétique de l’œuvre, tout en les mettant en dialogue avec un projet de visualisation interactive, où le langage devient une matière mouvante.

Mots centraux et structuration du réseau

L’analyse des relations lexicales met en lumière plusieurs nœuds lexicaux qui structurent la poésie du recueil L’ÉPINGLE filante. Certains mots jouent un rôle pivot dans le réseau, car ils sont connectés à un grand nombre d’autres termes. Parmi eux, on retrouve des termes dynamiques tels que lumière, temps, corps, aimer, bouger, action et pouvoir, qui soulignent la relation entre le mouvement, l’expérience corporelle et la perception.

D’autres mots, comme mère, sein, vie, tenir, devenir et rester, évoquent un champ lexical centré sur la maternité, l’ancrage et la continuité. Par ailleurs, des termes tels que nourrir, lait, écriture et offrir traduisent l’idée de création comme un acte de don, où le langage devient un vecteur de transmission. Enfin, des mots comme jamais, grand, bientôt, fin et monde ouvrent une réflexion sur le temps, le passage et la transformation. Ces mots constituent ainsi le squelette sémantique du recueil, formant des passerelles entre les thèmes et participant à une narration fragmentaire et ouverte.

Thématiques émergentes et relations lexicales

L’agencement des mots dans le réseau de collocation révèle quatre grandes thématiques, chacune développée à travers des champs lexicaux interconnectés.

Maternité et transmission	Transformation et résilience	Corps et action	Mémoire et perception du temps
Les mots associés à cette thématique incluent mère, sein, nourrir, lait, offrir et écriture. La maternité y est présentée comme un acte de don, à la fois physique et immatériel. L’écriture elle-même semble devenir un élément nourricier, reliant la parole au corps et à la transmission.	Cette thématique s’appuie sur des mots tels que devenir, tenir, rester, vie, lumière, fin, monde et bientôt. La transformation est au cœur du recueil, évoquant une métaphore de la métamorphose. Le passage du temps et les épreuves façonnent ou refaçonnent l’identité et le rapport au monde. Cette résilience devient une manière de réécrire le réel.	Les mots-clés comme corps, bouger, aimer, action, pouvoir et lumière mettent en avant le corps comme un espace d’expérience, de transformation et d’émotion. Il est aussi un lieu de résistance et de désir, où le mouvement exprime l’acte de vivre et d’agir sur le monde.	Des termes tels que temps, souvenir, attendre, jamais et bientôt traduisent une perception fluide du temps. Le recueil oscille entre réminiscence et anticipation, où l’attente et l’idée d’un futur en construction donnent une teinte à la fois mélancolique et lumineuse au texte.

Maternité et transmission

Transformation et résilience

Corps et action

Mémoire et perception du temps

Les mots associés à cette thématique incluent mère, sein, nourrir, lait, offrir et écriture. La maternité y est présentée comme un acte de don, à la fois physique et immatériel. L’écriture elle-même semble devenir un élément nourricier, reliant la parole au corps et à la transmission.

Cette thématique s’appuie sur des mots tels que devenir, tenir, rester, vie, lumière, fin, monde et bientôt. La transformation est au cœur du recueil, évoquant une métaphore de la métamorphose. Le passage du temps et les épreuves façonnent ou refaçonnent l’identité et le rapport au monde. Cette résilience devient une manière de réécrire le réel.

Les mots-clés comme corps, bouger, aimer, action, pouvoir et lumière mettent en avant le corps comme un espace d’expérience, de transformation et d’émotion. Il est aussi un lieu de résistance et de désir, où le mouvement exprime l’acte de vivre et d’agir sur le monde.

Des termes tels que temps, souvenir, attendre, jamais et bientôt traduisent une perception fluide du temps. Le recueil oscille entre réminiscence et anticipation, où l’attente et l’idée d’un futur en construction donnent une teinte à la fois mélancolique et lumineuse au texte.

Cliquer pour interagir avec la collocation de mots

Vers une visualisation interactive des poèmes

Cette analyse linguistique nourrit la création d’une visualisation interactive des poèmes, inspirée par le poème de la page 92 (Je suis devenue une mère contaminée par l’espoir...). Le projet s’articule autour de trois principes d’interaction.

je suis devenue une mère contanimée par l’espoir

celle qui cède sa place aux saisons

par toi, je m’affaire à presque tout

presque rien, en même temps

ça crée un remède

une soupe aux chanterelles

un sourire simple

on peut fabriquer des vitamines avec les ruines

des pivoines avec la fin du monde

parfois, la sauge gagne sur le granite

la poussière se mue en joie

la rivière retrouvera sa force

elle nous fera boire jusqu’à ce qu’on aime

(Roy,2024, p. 92)

Visualisation poétique

À la croisée des arts

Une extension narrative pour la deuxième scène

Le poème extrait du recueil L’épingle filante (p. 92) de Noémie Roy sert de fil conducteur dans cette première scène. L’artiste y explore les thèmes de la transformation et de la résilience, guidant la progression de l’œuvre présentée dans la vitrine. Alors que la deuxième scène repose sur une abstraction symbolique, cette première scène introduit une abstraction textuelle à travers le poème.

Il est possible que les participant.e.s n’interprètent pas le poème en totale adéquation avec les intentions de l’autrice, et c’est précisément ce décalage qui rend l’expérience enrichissante. Dans mon intention de médiation, je souhaite perpétuer l’héritage de Noémie en semant une réflexion sur la maternité et la transformation. Toutefois, pour toucher un public varié, j’adopte une approche inclusive, en veillant à ce que chacun.e, quelle que soit son identité ou son vécu, puisse s’immerger dans le poème et percevoir la relation mère-enfant à sa manière.

À travers les multiples dimensions offertes par le travail de Noémie, chaque participant.e pourra explorer sa propre sensibilité et ses propres perceptions.

La symbolique des particules et des cercles

Cette visualisation interactive reflète la dynamique de transformation et de renouvellement qui accompagne la maternité, un moment où tout se joue dans la transition, la division et l’émergence de nouvelles connexions. Comme la cytocinèse, où une cellule se divise pour créer deux entités uniques mais interdépendantes, la maternité est ce processus où l’être se déforme, se dissocie et évolue pour donner naissance à un nouvel état, porteur de vie et de potentiel. Lorsque les spectateur.rice.s passent la souris ou leur doigt sur les particules, ils.elles ne font pas que regarder : ils.elles participent activement au mouvement, évoquant l'idée que la maternité est une expérience partagée, vivante et en perpétuelle évolution. Chaque particule répond à cette interaction, symbolisant les changements constants, les ajustements, et l’énergie qui circulent dans le processus de création d’un être vivant.

Les amas de particules rouges pourraient représenter le noyau de la vie, le cœur de la transformation, où tout commence. Le bleu, plus fluide, peut évoquer le liquide amniotique, ou encore les émotions et l’introspection qui entourent cette étape clé. Les particules vertes, éparses, traduisent la prolifération de la vie, l’élan vital qui dépasse les frontières de l’individu pour s’étendre vers l’autre. Dans cette image, la dispersion des particules illustre parfaitement le passage d’un état à un autre. La cellule mère (ou la figure de la mère) ne disparaît pas, mais s’étire, se divise et se transforme pour faire place à la nouveauté. Ce processus de déformation est à la fois fragile et puissant, comme le sont les moments où la maternité se construit, étape après étape.

Une extension narrative pour la troisième scène

Dans cette troisième scène, mon interprétation de l’extrait du recueil du poème, initialement dispersés, sont laissés à l’utilisateur.rice pour qu’ils.elles les réorganisent. Ce geste symbolise l’acte créatif et collaboratif de la relation mère-enfant. Tout comme les mots doivent être agencés pour former une phrase harmonieuse, la maternité est un processus où mère et enfant construisent ensemble un équilibre relationnel.

Les thèmes de résilience et de vie s’incarnent dans cette capacité à transformer une dispersion initiale en une création pleine de sens. J’espère que les participant.e.s, à travers leur exploration de la symbolique de la scène 1, enrichie par le poème de la scène 2, pourront dans cette scène 3 manipuler les mots dispersés pour exprimer leurs émotions ou partager leur perception subjective de la relation mère-enfant et de la transformation qu’elle induit. Travaillant sur ce projet en tant que médiateur, j’ai conscience de l’aspect profondément subjectif de ces thématiques. N’étant pas une femme et n’ayant jamais donné naissance, j’ai moi-même abordé cette réflexion comme une exploration personnelle. Je souhaite offrir cette même opportunité aux participant.e.s, les invitant à se laisser guider par leur expérience, à se sentir libres d’explorer, et à s’approprier ces thèmes à travers leur propre prisme émotionnel.

Cliquer pour faire l'expérience

Dialogue avec l’artiste et transparence créative

Image de Noémie et moi

Un dialogue entre création et médiation

Notre échange avec Noémie Roy a été une plongée au cœur de nos démarches respectives, révélant un dialogue fluide entre création artistique et médiation culturelle. Cette rencontre a permis de croiser nos inspirations, nos choix artistiques et nos intentions, chacun apportant sa propre lecture et sa sensibilité à l’œuvre. Au fil de la discussion, il est apparu évident que nos approches, bien que distinctes, se complètent et s’enrichissent mutuellement.

Nous avons exploré ensemble la manière dont le textile, la poésie et l’interactivité numérique peuvent s’entrelacer pour offrir au public une expérience à la fois intime et immersive. Noémie a partagé sa vision de la matière comme vecteur de mémoire et de transmission, tandis que j’ai cherché à mettre en lumière comment la médiation peut ouvrir des espaces de résonance et d’interprétation. Ce dialogue a renforcé notre volonté commune de créer un dispositif qui ne se limite pas à l’exposition, mais qui devienne un espace vivant, où l’œuvre évolue au contact du regard et de l’interaction du public.

Ensemble, nous avons construit une passerelle entre l’acte de créer et celui de transmettre, en tissant des liens entre nos visions et les expériences du spectateur. Plus qu’une simple présentation, ce projet devient une invitation à habiter l’œuvre, à la ressentir, et à se l’approprier, dans un échange sincère et évolutif entre artiste, médiateur et public.